Henry Buzy-Cazaux, président de l’Institut du Management des Services Immobiliers, revient en détail sur les effets positifs de cette loi sur le logement à laquelle la profession n’a pourtant cessé depuis deux ans de s’opposer.
« L’ambiance au pays des agents immobiliers et des administrateurs de biens est étrange. Après près de deux années de combat législatif pour s’opposer à l’avant-projet de loi, puis au projet de loi, puis à la loi « Pour l’accès au logement et un urbanisme rénové », on aurait pu s’attendre à de la torpeur, ce sentiment qui envahit après la réalisation d’un danger. Ce qui reste est d’une autre nature. Cela ressemble à un ressaisissement, à une prise de conscience, bien au-delà de la résignation.
Une partie des professions concernées comprend que cette loi est une somme d’outils de nature à valoriser celles et ceux qui les exercent, de trois façons, en augmentant leur valeur ajoutée, en améliorant leur image et en rehaussant leurs honoraires. Pour les agents immobiliers et les administrateurs de biens, des missions supplémentaires, qui sont soit des gestes professionnels à part entière, soit des efforts d’information et de transparence. L’exemple des syndics est flagrant : devoir travailler à programmer des travaux de modernisation des immeubles, sur la base d’audits complets préalablement votés, ouvrir systématiquement des comptes séparés par copropriété et les gérer, immatriculer les immeubles, répondre aux sollicitations des cédants qui constituent leur dossier pour les acquéreurs d’un lot, créer et faire vivre un extranet pour les copropriétaires, proposer des contrats de service général plus lisibles et comparables, c’est un bouleversement des pratiques.
Les gestionnaires locatifs sont également impactés. Outre l’assimilation des modifications apportées par la loi aux rapports locatifs, ils doivent alimenter les observatoires locaux qui se créent, et pour les parisiens – dans un premier temps eux seuls – fixer les loyers sous contraintes d’un encadrement règlementaire ou encore préciser la surface habitable dans les annonces. Ils doivent depuis la rentrée calculer leurs honoraires de location en fonction d’un barème administratif. Enfin, pas de GUL, mais une CLE pour les étudiants, et un mécanisme de sécurisation en cours de construction pour les salariés de moins de 30 ans, dispositifs avec lesquels il va falloir compter. Quant aux agents immobiliers, ils doivent désormais fournir un dossier renseignant bien mieux que naguère tout signataire d’un avant-contrat d’achat d’un bien en copropriété. Ils doivent aussi préciser dans les mandats les diligences qu’ils mettront en œuvre au profit du vendeur, avec même des obligations de rapport dans le cas d’un mandat exclusif. Dans ce dernier cas d’engagement contractuel, il faut également qu’ils stipulent les conditions de renouvellement, de façon beaucoup plus claire qu’avant. Ils doivent aussi exprimer dans chaque annonce le montant des honoraires à la charge de l’acquéreur.
Par-dessus tout ça, un Conseil national de la transaction et de la gestion qui œuvre sans relâche à rendre des avis au gouvernement sur les textes d’application en cours de rédaction, ou sur d’autres sujets intéressant la vie des agences et des cabinets, tels que le portage salarial. Là encore, la prise de conscience est en marche : le CNTGI n’est pas un ordre, mais une instance paritaire à laquelle participent les associations de consommateurs, et seulement consultative. Et puis, on attend de pied ferme la Commission nationale de contrôle, qui tranchera les différends entre professionnels et clients dont elle sera saisie, sur la base des obligations légales et d’une déontologie à venir : elle rendra la justice plus accessible et plus fluide, mais les agents immobiliers et les administrateurs de biens plus exposés au risque de demande de réparation, avec des sanctions qui iront jusqu’à l’interdiction d’exercer. La vertu fait le siège des professions, par le dialogue modéré avec les consommateurs et le gouvernement, et par l’acceptation d’une discipline exigeante.
Bref, pas un professionnel dont la vie quotidienne ne change et ne changera de manière substantielle du fait de cette loi. La communauté a vite compris, en outre, que le détricotage annoncé serait modeste, simplement parce que l’essentiel du texte, loin des grandes mesures idéologiques qu’étaient la GUL ou l’encadrement des loyers, étaient souhaitables et souhaitées par l’opinion.
Les organisations professionnelles et les enseignes ayant voix au chapitre, pendant la phase exceptionnellement longue de lobbying, ont fait feu de tout bois, et on a entendu que les risques de disparition des emplois et des entreprises étaient avérés. On a aussi cru que les artisans et les indépendants se précipiteraient pour céder aux groupes nationaux. On a entendu en tout cas que les chiffres d’affaire allaient fondre et fragiliser les acteurs. Cela se réalise-t-il ? Oui et non.
Oui pour certains, non pour les autres. Je veux dire que l’ALUR rebat les cartes de la concurrence et redistribue les parts de marché. On voit des professionnels qui ont déployé leur chiffre d’affaire en 2014, d’autres qui l’ont vu s’étioler. Dans les allées des réunions professionnelles, les messages sont singuliers. Derrière la plainte générale, beaucoup avouent qu’ils ont fait une bonne année. Les autres ne sont simplement pas là.
Que se passe-t-il ? Simplement que l’ALUR ouvre un clivage entre ceux qui l’utilisent de bon gré pour améliorer leurs pratiques et ajouter des services aux services, en profitant même pour aller plus loin et se différencier, et ceux qui renâclent, qui se navrent et déplorent, perdant au passage leur énergie et leur allant commercial, patrons ou collaborateurs. Des illustrations ? L’extranet des copropriétés est à proposer aux syndicats de copropriétaires, et je vois de syndics qui ne sont pas prêts et sont conduits à l’avouer à leurs clients, et d’autres qui se sont mis en situation de répondre à la demande. Je vois des syndics qui vont donner un maximum d’informations et d’autres un minimum. En location, tandis que certains se lamentent et menacent de licencier, d’autres constatent que leurs honoraires méritent d’être réévalués et qu’ils étaient en-dessous des limites règlementaires ! Ils constatent aussi que l’état des lieux est désormais susceptible d’être honorablement facturé, ce qui les incite à l’externaliser ou à former leurs collaborateurs pour les établir avec plus de rigueur. Les syndics, eux, jouent leur destin sur le prix qu’ils vont demander pour rétribution de leurs nouvelles missions et pour réintégrer dans le forfait ce qui était qualifié jusqu’alors de prestations exceptionnelles : certains vont booster leur profitabilité et leur capacité à mieux servir, d’autres vont trépasser.
Le monde des administrateurs de biens et des agents immobiliers est en train de se couper en deux, et la décision de mieux vivre grâce à la loi ALUR ou de mourir va appartenir à chacun. La formation continue obligatoire, qui ne sera effective qu’à la rentrée 2015 en toute hypothèse, va accentuer le clivage : certains considèreront qu’il faut se libérer de l’obligation a minima, si possible par des enseignements à distance dont on ne vérifiera ni la qualité ni l’efficacité, d’autres vont entrer dans la logique de la valorisation des compétences et ne confieront pas leurs équipes à n’importe qui.
A la clé de tout cela, il y a l’image de ces professions et leur honorabilité perçue. Ces professions du patrimoine sont évidemment respectables. Il faut encore que ceux qui ne le sont pas suffisamment à l’intérieur le sentent et y remédient. A cet égard, des enseignes nationales vont devoir se reprendre, d’autres prospèrent déjà sur ces principes. De même, des petites ou moyennes agences ou des cabinets de proximité sont en train d’affirmer mieux que jamais leur place locale… fût-ce au détriment de nationaux, quand d’autres périclitent. Il faut ensuite que la fierté collective des agents immobiliers et des administrateurs de biens se redresse. Les professions immobilières roulent entre deux bords : de l’arrogance parfois, et souvent un abattement et un complexe.
Pour moi, je dis volontiers aux jeunes que mon institut prépare à ces métiers qu’ils ont beaucoup de chance d’y entrer aujourd’hui. Ce qui est étonnant d’ailleurs est qu’ils n’en doutent pas et que mon propos leur semble bien plat… Une belle leçon de réalisme. »