L’arrivée d’investisseurs institutionnels sur le marché du viager est en passe de redonner un coup de jeune à cette formule poussiéreuse. Les vendeurs pourraient y trouver leur intérêt. Explications.
Il faut bien le reconnaître, recourir au viager pour vendre un bien immobilier n’avait jusqu’ici rien d’agréable ni de rassurant. Avec cette formule consistant à céder la propriété de son logement en échange d’un droit d’occupation à vie ainsi que d’une rente, elle aussi viagère, on courait le risque de vendre à vil prix, le marché étant structurellement en suroffre : on compte en moyenne plus de 12.000 propriétaires vendeurs (les “créditrentiers”) chaque année, pour seulement 5.000 transactions. Autre écueil : que l’acheteur (appelé le “débitrentier”), un particulier dans la plupart des cas, fasse par la suite défaut et cesse de payer la rente viagère promise à la signature. Enfin, l’acheteur, lui, court le risque que le vendeur vive très longtemps, et donc que l’opération se révèle une très mauvaise affaire.
Tout cela est heureusement en train de changer avec l’arrivée sur ce marché de plusieurs investisseurs institutionnels. Avantage de ces acheteurs : ils cherchent à diversifier la mise, et ambitionnent donc d’acheter plusieurs centaines de biens. Jusqu’à 400 logements et 120 millions d’euros investis pour Certivia, un fonds lancé début septembre par la Caisse des dépôts et consignations ; jusqu’à 300 biens pour 123Viager, une sicav créée fin 2012 par la société de gestion 123Venture ; et de 260 à 300 logements pour 40 millions d’euros dans le cas de Coremimmo, une SCI lancée en 2012 par l’Union mutualiste retraite (UMR) à destination des 400.000 adhérents au régime Corem. “Nous avons déjà acté près de 80 ventes, pour environ 110 opérations validées à ce jour en comité d’acquisition”, assure Eric Guillaume, directeur général de Coremimmo. Bref, largement de quoi dynamiser le marché.
Mais qui peut vendre à ces institutionnels ? Mieux vaut d’abord habiter Paris, sa petite couronne, la Côte d’Azur, ou bien une grande ville comme Lyon. A l’exception de Coremimmo, qui achète dans toute la France métropolitaine, les institutionnels sélectionnent leurs risques en ne retenant que les meilleurs emplacements. Ils privilégient aussi les appartements (sauf, là aussi, dans le cas de Coremimmo), plus faciles à entretenir et à revendre, au détriment des maisons. Mieux vaut enfin être relativement âgé. C’est ainsi que Certivia n’achète qu’aux propriétaires d’au moins 70 ans, tandis que 123Viager vise les hommes d’au moins 80 ans et les femmes de 85 ans et plus. S’il n’existe pas de tels seuils chez Coremimmo, la moyenne d’âge des vendeurs atteint 74 ans pour les dossiers déjà bouclés.
Vendre en viager à un institutionnel supprime le risque de non-paiement de la rente si le débitrentier fait défaut ou si les héritiers de ce dernier, suite à son décès, refusent de poursuivre les versements viagers. Tous les institutionnels prévoient aussi, comme il est d’usage, de reverser au créditrentier de l’argent en plus si jamais il doit quitter de façon prématurée son domicile, pour aller en maison de retraite par exemple (ce qui engendre automatiquement la mise en vente du bien). C’est ainsi que Certivia promet d’augmenter la rente versée jusqu’à 50%, tandis que Coremimmo reverse de 30 à 80% de la valeur du droit d’occupation non utilisé. Autre bonus : la CDC prévoit que le créditrentier puisse désigner dans l’acte de vente un bénéficiaire prioritaire pour acheter le bien, au prix du marché. Tandis que Coremimmo octroie à ses héritiers un droit de préemption.
Reste qu’un seul acteur efface le risque pour le vendeur de ne percevoir qu’une petite part de la valeur de son logement en raison d’un décès prématuré. Coremimmo s’engage en effet à verser la totalité du prix du bien (droit d’occupation déduit) en une seule fois. Les autres acteurs, eux, se contentent de la formule classique du viager, à savoir verser un bouquet équivalent à 30% de la valeur du bien, puis une rente viagère. “En plus, Coremimmo ne prélève ni frais d’agence ni frais de dossier, ce qui permet d’octroyer 5 à 8% de capital supplémentaire”, assure Eric Guillaume.
Et les investisseurs institutionnels, qui mettent leurs billes dans de tels fonds ? Ils ne courent plus qu’un risque, que les prix de l’immobilier poursuivent leur baisse… Mais cela n’empêche pas la CDC d’annoncer à ses souscripteurs (neuf mutuelles ou assureurs, dont la CNP, AG2R La Mondiale, Groupama, Maif ou Macif) un taux de rendement de 6 à 6,5% par an pour son fonds, censé durer 25 à 30 ans. L’objectif est de 5 à 6% pour 123Viager, qui affichait déjà, fin juin, un gain de 15,3% depuis sa création en septembre 2012. Quant à l’UMR, qui présente Coremimmo avant tout comme un service rendu à ses adhérents, elle ambitionne tout de même de dégager un rendement de 4,5 à 5%.