On connaît sans forcément savoir la lui attribuer la devise du Surintendant Fouquet, ministre des Finances de Louis XIV : « Quo non ascendet ? » (Jusqu’où ne montera-t-il pas ?). L’origine en est simple : en vieux français, le fouquet était un écureuil. On aurait envie que cette devise convienne à la courbe des mises en chantier et des ventes de logements neufs en France… C’est l’inverse. Il faut retourner à l’année 1947 pour retrouver une si faible production, et encore les besoins étaient-ils bien moindres et par conséquent la contre-performance moins insupportable pour le pays. Au lieu de cette belle question, c’est plutôt « Quo non descendet ? » qui conviendrait à la promotion privée comme à la construction de maisons individuelles et au logement social. La production poursuit sa descente en enfer.
Le secrétaire d’Etat à la simplification, Thierry Mandon, intervenant devant la profession en clôture des récentes journées de la Fédération des promoteurs immobiliers, a amorcé son propos en disant combien il était attristé par les très mauvais chiffres de la construction révélés par le ministère du Logement lui-même. Le pays est descendu à 266 500 mises en chantier…pour un objectif de 500 000, faut-il le rappeler. Les entreprises du bâtiment auront licencié sur deux ans près de 60 000 personnes. La désolation de Monsieur Mandon est sincère…mais est-elle encore de saison ? Le stade de l’abattement n’est-il pas périmé ?
Des décisions sans effets
Comment les responsables politiques qui ont contribué à ce résultat peuvent-ils encore dormir la nuit et s’exprimer en gardant quelque crédit, qu’ils aient été dans l’exécutif ou qu’ils aient joué les premiers rôles au parlement ? Quand l’actuel gouvernement va-t-il rendre opérationnel la cause prioritaire qu’est le logement ? A certains indices, on aurait pu penser que la prise de conscience était bien là. Ainsi, le Premier ministre lui-même est sorti du bois et a bâti avec sa ministre du logement un plan de soutien il y a quelques mois. Seulement voilà : les faits sont têtus et les décisions prises ne suffisent pas… pour celles qui ont été suivies d’effet !
Car pour un dispositif Pinel qui a vu le jour ou un PAS (Prêt à l’Accession Sociale) dont les plafonds de ressources des éligibles ont été rehaussés, combien d’annonces sont-elles restées sans suite ? Quid de la mobilisation du foncier public ? Quid de la révision des normes de construction, dont la plus coûteuse, celle qui concerne l’accessibilité aux handicapés ?
Pourtant, le logement neuf rapporte
Autre paradoxe : on apprend que le gouvernement a missionné il y a un an trois corps d’inspection, le Conseil général de l’environnement et du développement durable, l’inspection générale des affaires sociales et l’inspection générale des finances pour traquer les dépenses excessives de la politique du logement et leur faire un sort. Au demeurant, le rapport fait flèche de tout bois et vise indistinctement le logement privé, le logement public et jusqu’à la rénovation énergétique, s’offrant le luxe d’être à contre-courant de l’un des choix politiques majeurs de la France et du monde.
De quoi parle-t-on ? D’un budget de l’ordre de 45 milliards d’euros de dépenses (dont plus de 20 d’aides personnelles), ou de 45 milliards d’euros d’investissement ? La preuve a été faite en octobre 2014 par un excellent rapport du cabinet Fidal, mandaté par la Fédération des promoteurs immobiliers pour estimer la situation fiscale de notre pays quant à l’immobilier, que le logement neuf rapportait à l’Etat bien plus de 60 milliards d’euros par an. La logique comptable a pour ainsi dire étouffé le secteur, qui raisonne en ne voyant que les moindres rentrées ou les débours en année n, sans voir les retours à vingt-quatre mois ! Jusqu’à quand la laissera-t-on dicter sa loi… et inspirer les lois de finances ?
Un rapport qui oublie l’essentiel
La publication du rapport des corps d’inspection, au pire moment qu’ait connu la construction depuis la guerre est un affront. Ce rapport, s’il avait l’ambition d’analyser vraiment l’action publique, aurait pointé pêle-mêle la complexité de l’acte de construire, le malthusianisme des maires alors que s’installe la réorganisation territoriale, l’inconséquence fiscale de l’Etat et des collectivités qui augmentent les droits de mutation, rendent impossible le rachat à même niveau et freinent la mobilité, la menace de la révision des valeurs cadastrales qui va faire exploser les taxes sur le logement, les gestes indélicats de la loi ALUR envers les investisseurs, ou encore la mise en accusation des PPP (partenariats public-privé).
Par-dessus tout, le rapport de ces prestigieux experts oublie l’essentiel : les aides au logement neuf sont d’abord là pour atténuer la douleur d’une pression fiscale insupportable. Ainsi, la même analyse du cabinet Fidal a démontré que la fiscalité immobilière en France y était plus lourde que dans le reste de l’Europe.
Les avancées de la loi Macron
Le rapport aurait aussi pu dénoncer l’instabilité fiscale permanente : combien de fois le dispositif de taxation des plus-values a-t-il été retouché depuis cinq ans ? Combien de fois le mécanisme d’incitation fiscale pour les investisseurs, que les inspecteurs des trois corps verraient bien retouché une énième fois, pour en passer le taux de réduction de 18% à 13% ? Combien de fois la TVA sur les travaux de mise aux normes énergétiques… que le rapport préconise d’augmenter de 5,5% à 10%, alors que les fédérations du bâtiment fondent leur espoir sur ce secteur ? Sans compter que le rapport propose des économies… déjà actées depuis que sa commande a été passée ! Ainsi, alors que les deux piliers essentiels à la construction sont l’investissement locatif et la primo accession, les aides à la pierre ont été rognées dans le budget pour 2015 de façon substantielle, le prêt à taux zéro a été recentré. On aurait pu attendre des auteurs qu’ils aient la pudeur de ne pas prescrire des saignées déjà administrées.
On doit à l’honnêteté de reconnaître des signaux heureux : le projet de loi Macron comporte des avancées en termes de simplification et d’allègement des procédures, ou en tout cas d’habilitation pour y parvenir par ordonnance dans les prochains mois. Il faudra que le parlement profite de ce véhicule pour aller plus loin et lever le maximum de freins à la construction ou à l’acquisition. Il serait heureux, enfin, que le ministère des finances, maintenant qu’il est prouvé que le logement lui rapporte, assortisse son action à celle des autres ministères.
Les laissés pour compte du logement
Les promoteurs ne sont pas familiers des grandes manifestations d’exaspération. Ils leur ont préféré jusqu’alors la persuasion paisible. La colère monte, non parce que les comptes d’exploitation des entreprises se dégradent – ce qui serait une raison suffisante -, mais parce que les ménages ne peuvent plus satisfaire leurs besoins en logement. Tous les segments de population paient un lourd tribut, et les plus fragiles basculent, finalement exclus du marché et laissés pour compte du logement.
Le pays vit l’enfer, et les pouvoirs publics ont le front de parler dans ce contexte de rationalisation budgétaire, pour preuve de leur cécité. Un peu comme un urgentiste qui recommanderait de la chirurgie esthétique au cardiaque agonisant. Indécent. Les professionnels de la construction n’ont pas perdu leur calme, et redisent inlassablement ce qu’il faut faire. Qui n’est pas fait et dont on continue à débattre.