Un grand coup de ménage. Même si elle ne le dit pas en des termes aussi crus, c’est en substance ce que réclame la Cour des comptes en matière de logement social en Ile-de-France. Au-delà des habituels griefs faits aux acteurs des HLM (manque de transparence dans les attributions de logements, collectivités qui ne jouent pas le jeu, etc.), ses magistrats, qui ont travaillé sur la période 2005-2012, font surtout un constat étonnant : en Ile-de-France, on ne construit pas de logements sociaux pour les bonnes personnes ! Un comble, quand on sait que 2 Mds€ d’aides publiques sont accordés chaque année au parc locatif social.
Les données du problème ? Dans les HLM, plusieurs types de logements sont disponibles. Ceux financés par des prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI) réservés aux ménages les plus modestes (1 200 € de revenu par mois pour une personne seule), ceux financés par des prêts locatifs à usage social (PLUS) qui s’adressent à des personnes ayant des revenus un peu plus élevés (moins de 2 100 EUR par mois pour un célibataire) et, enfin, ceux financés par des prêts locatifs sociaux (PLS) qui visent des locataires plus aisés (de l’ordre de 2 800 EUR par mois pour une personne seule). 70 % des demandeurs présentant un profil de type PLAI, la logique voudrait que l’accent soit mis sur cette population. Eh bien non.
Réformer la règle du « maintien dans les lieux »
« Au cours de la période 2005-2012, l’agrément des PLS l’a emporté en Ile-de-France sur celui des PLUS […] alors que c’est la formule de logement locatif social de droit commun. » Le monde à l’envers donc. D’autant qu’une grande partie de la population qui devrait pouvoir être en HLM n’a d’autre solution que de se loger dans le parc locatif privé, où les loyers sont nettement plus élevés que dans le public. Conséquence : de nombreux ménages modestes se retrouvent totalement étranglés financièrement. Et la Cour de relever cette incohérence : « En 2011, 47 % des locataires du parc social, soit environ 520 000 ménages, avaient des revenus dépassant 60 % du plafond de ressources des logements PLUS qui leur était applicable, alors que 36 % des locataires du parc privé, soit environ 430 000 ménages, avaient des revenus en dessous de ce plafond… »
Certes, la Cour reconnaît que le marché francilien du logement est à part. Une forte démographie, un nombre de logements insuffisant conjugué à un faible niveau de foncier disponible… Le marché est forcément tendu, dans le privé comme dans le public. Il n’empêche. Sans tabou, les magistrats l’affirment : « Il devient de plus en plus difficile de justifier le maintien, pour ceux dont la situation n’est pas la plus modeste, de l’avantage lié à la jouissance d’un logement à plus faible loyer sans limite de durée. » Comment y remédier ? Par des mesures fortes. En commençant par réformer la règle du « maintien dans les lieux ». Un droit offert à tous les locataires. A partir du moment où une famille accède à un logement social, elle le conserve autant d’années qu’elle le souhaite. Et ce, même si de nombreux changements ont eu lieu au fil des ans : enfants partis du foyer, accumulation d’un patrimoine (acquisition d’une résidence secondaire, etc.) ou, même — pour les plus de 65 ans — des revenus ayant fortement progressé…
Faire évoluer les loyers en fonction des revenus
Résultat, des locataires restent dans leurs logements sociaux alors qu’ils auraient les moyens de payer un loyer dans le secteur privé. Quand d’autres, aux revenus plus modestes, patientent sur liste d’attente. Pour sortir de ce blocage, le « droit au maintien » offert à tous les locataires doit subir un réexamen selon la Cour. Au-delà de ce droit, c’est même à l’écart de loyer entre le privé et le social qu’il serait bon de s’attaquer. D’abord en renforçant les surloyers. Un mécanisme de loyers majorés pour les plus aisés jugé peu efficace car plafonné au quart du revenu d’un ménage. Aucune raison à cela, juge la Cour. Enfin, un « changement d’ampleur » dans la manière de fixer les loyers est réclamé. Objectif : faire évoluer les loyers en fonction de « l’attractivité du quartier, le niveau des prix du marché et le niveau de revenu du locataire ».
Si le gouvernement se refuse à toute hausse globale des loyers dans les logements sociaux, il envisagerait, selon la Cour, d’autoriser les bailleurs à « hausser le loyer de certains logements et en baisser d’autres, tout en respectant une enveloppe globale ». En résumé, faire payer davantage les locataires les plus aisés et demander moins aux plus modestes. Une petite révolution. Mais qui ne sera pas vécue de la même façon par tout le monde.